Hollande est-il un vrai chef?

Publié le par Gérard

Hollande est-il un vrai chef?

François Hollande affirme: "Je refuse d'être un chef décidant de tout et prétendant tout savoir".

REUTERS/Regis Duvignau

 

Interrogations sur sa personnalité, doutes sur sa parole, confusion autour de son programme: l'état de grâce du candidat socialiste n'aura pas duré. Il devient déjà urgent pour lui de mieux maîtriser sa campagne. Car il reste cinq mois avant le premier tour. Et rien n'est joué! 

 

Ce jour-là, François Hollande décide de reprendre la situation en main. Dimanche 13 novembre, après une période de flottement, le candidat réunit son premier cercle dans une salle de l'hôtel Mercure de Pantin, en Seine-Saint-Denis. Il veut secouer ses lieutenants. Ses premiers mots sonnent comme un avertissement: "Si vous n'êtes pas en mesure de faire le travail en vous montrant exigeants, je vous sortirai de l'équipe de campagne", prévient-il. Avant d'insister: "Votre présence dans l'organigramme n'est pas une obligation." Fini, sa bonhomie habituelle. Les mots du vainqueur de la primaire sont des lames. 

Le candidat est furieux. "Il y a trop de fuites dans la presse", déplore-t-il, accusateur. Les journaux viennent de publier le lieu et la date de leur séminaire, alors que cette rencontre était censée rester secrète. Inadmissible! L'un des 30 participants a vendu la mèche.  

 

Hollande poursuit en évoquant un article qui vient de paraître dans le Journal du dimanche. Il y est question de sa sécurité. Le candidat aurait choisi, peut-on y lire, de se passer des fonctionnaires du Service de protection des hautes personnalités (SPHP) ayant travaillé en 2007 avec Ségolène Royal. "C'est faux et hallucinant, s'exclame le député de la Corrèze. Je n'ai jamais vu cette liste de noms. Par ces bavardages, qui sont une connerie, on donne le sentiment que je ne veux pas être au contact des gens." Sa consigne, dès lors, va être claire. Il lance à l'assistance, médusée: "Ne parlez pas à la presse, cessez les commentaires sur notre propre campagne." 

 

Couper court aux attaques de l'UMP

Une reprise en main, vraiment? Petit problème: au lendemain de ce coup de gueule, l'équipe Hollande va connaître... sa pire semaine depuis le début de l'aventure présidentielle. La nouvelle attitude du candidat n'a pas encore produit ses effets. "François entre dans le rôle de chef, il devient capable d'engueuler des gens", se félicite un fidèle de toujours. Le roi de la synthèse, qui, pendant onze ans, a dirigé le PS en évitant les conflits, endosse son uniforme de combat. "Il est plus grave et plus directif, notamment avec ses proches", reconnaît le député André Vallini. Ces jours-ci, il s'est même acheté un livre d'histoire sur Napoléon, figure suprême des généraux en chef.  

 

Capitaine de pédalo dans la tempête (Mélenchon le 13/11) 

Le candidat "normal" tient désormais à couper court aux tentatives des lieutenants de Nicolas Sarkozy pour le discréditer dans l'opinion. Le pilonnage est intensif. Le socialiste est-il capable de diriger? Sait-il dire non, imposer un cap? A-t-il les épaules assez solides pour mener des réformes difficiles en période de crise internationale? Le voilà caricaturé en "Babar" (Luc Chatel) ou étrillé pour son manque de "carrure" (Claude Guéant). Tous les ministres s'y mettent. C'est un jeu de massacre. "Si Sarkozy insiste sur les questions de caractère, c'est pour mieux dépolitiser l'affrontement et éviter la question du bilan", analyse Julien Dray. 

Chronologiquement, toutefois, ce n'est pas le président de la République qui a tiré, le premier, ce fil. "Ces attaques sont nées avec les piques de Martine Aubry sur la gauche molle, se lamente un intime. On savait que la droite rebondirait là-dessus et qu'il fallait se préparer à contrer ces critiques." Hollande a donc eu tout le temps de peaufiner sa riposte. En grand connaisseur des campagnes présidentielles. "Avec la droite, c'est toujours la même technique, commente-t-il pour L'Express. La gauche est présentée comme illégitime ou irresponsable. Que ne disait-on, en 1981, sur François Mitterrand? Ses opposants raillaient son ignorance des fondements économiques.  

 

"Je refuse d'être un chef décidant de tout"

On sait comment cela a fini. A leur tour, Lionel Jospin et Ségolène Royal ont subi ce type d'attaques." Mais des critiques semblables fusent au sein de la gauche. Jean-Luc Mélenchon mène la charge contre le "capitaine de Pédalo", trop timoré face au capitalisme en furie. 

 

Franchement, vous imaginez Hollande président de la République? On rêve! (Fabius le 18/04) 

Capitaine de Pédalo? Deux jours après sa mise au point musclée, François Hollande passe un nouveau savon à ses troupes. Les discussions avec les Verts déraillent sur la question du combustible nucléaire MOX, jugé trop dangereux par les écologistes. Le candidat n'entend pas faire une croix sur cette technologie malgré l'accord qui a été signé. Il appelle alors son fidèle Stéphane Le Foll, qui participe au même moment au bureau national du PS, sous la houlette de Martine Aubry. "Il y a un problème sur une phrase du texte, lui glisse Hollande. Demande une suspension de séance." "Euh, là, cela va être difficile", rétorque, gêné, Le Foll. Rue de Solférino, l'ambiance est explosive. Martine Aubry et le maire de Paris, Bertrand Delanoë, sont en train de s'empailler sur les circonscriptions réservées aux écologistes dans la capitale. Impossible de leur couper la parole. Tant pis. Hollande caviarde, sans attendre, le paragraphe qui le chagrine.  

 

L'intéressé se défend de tout autoritarisme. "Je refuse d'être un chef décidant de tout et prétendant tout savoir", écrit-il dans son ouvrage Le Rêve français (Privat, 2011). "Faire le costaud à la Sarkozy, promettre à tout-va, ce n'est pas son truc", ajoute son chef de cabinet, Faouzi Lamdaoui. Il a d'ores et déjà annoncé quelques priorités, s'il est élu, comme le redressement des comptes publics, la réforme fiscale ("On me disait que c'est risqué, dans le cadre d'une présidentielle, et maintenant tout le monde y est venu", s'enorgueillit-il), une réduction de 25 % de la part du nucléaire dans la production de l'électricité d'ici à 2025 et le non-renoncement à l'atome. "L'indépendance nationale, ce n'est pas un sujet mineur", souligne le directeur de campagne, Pierre Moscovici. Autre preuve de détermination, la poursuite du chantier de l'EPR de Flamanville (Manche), qui fait hurler les écologistes.

 

Ne pas dévoiler son programme avant janvier

"Hollande est en train de gagner la présidentielle en se montrant ferme face aux Verts sur le nucléaire", croit un membre éminent de l'équipe de campagne. En feignant d'ignorer que la cote de Hollande, bien qu'élevée, ne cesse de chuter. "On dit que Sarkozy remonte dans les sondages, commente Hollande. Je laisse dire. Il était si bas. Et moi si haut. J'étais à 35 % d'intentions de vote. Je n'ai pas eu l'illusion que cela pouvait durer. Heureusement pour moi que cela arrive aujourd'hui et pas en mars ou avril!" A cinq mois de l'échéance, il veut travailler sa stature. "Cette campagne m'oblige à aller au-delà de moi-même", confie-t-il.  

Le bavard Hollande raréfie ses interventions publiques et délègue les réactions politiques à ses porte-parole. Le 16 novembre, dans son bureau, il leur fixe la feuille de route: "Jusqu'à Noël, mettez l'accent sur le bilan de Nicolas Sarkozy, leur dit-il. Puis, à partir de janvier, je vous demanderai de porter mes propositions." Hollande ne veut pas dévoiler son programme trop tôt. Le voilà contraint de répéter ses thèmes phares - réforme fiscale, jeunesse, réindustrialisation - sans tirer de nouvelles munitions. Le candidat s'apprête aussi à effectuer des déplacements à Bruxelles et à Berlin, et hésite entre un voyage au Canada et aux Etats-Unis ou une virée au Brésil, en Argentine et en Guyane.  

 

La manière dont il fait la démonstration de sa crédibilité, c'est du Sarkozy ou du Mitterrand pur jus. J'ai raison, le chef c'est moi [...] Or l'autorité doit rimer avec raison (Cohn-Bendit le 15/11) 

"Gérer le temps est une règle majeure dans une présidentielle", analyse-t-il. Seulement, pour cet impatient qui n'est tranquille que dans le mouvement, l'attente se fait très longue. Pendant les réunions internes, il regarde sa montre avec insistance ("il reste dix minutes"), quand il n'abrège pas les interventions trop longues d'un grinçant "C'est bon, on a compris, on n'est pas dans une réunion du bureau national du PS." 

En attendant l'épreuve du feu, il rêve d'être déchargé du superflu. Mais tout le monde veut le voir. Il y a des gens qui font la queue devant son bureau à l'Assemblée nationale. Ceux qui lorgnaient sur une circonscription l'ont harcelé pour obtenir son appui. "Je comprends. Bats-toi, mais adresse-toi à qui de droit", esquivait-il. Sous-entendu: adressez-vous à la direction du PS. Même avec ses amis politiques, il prend ses distances. "Pendant la campagne de 2002, Lionel Jospin disait à son équipe: "Laissez-moi respirer et avoir du temps pour me poser." J'y pense souvent. Il faut pouvoir s'arrêter un après-midi, rester maître de son calendrier." 

 

Le 19 novembre, à Strasbourg, il a renoué avec ces bains de foule qui lui ont donné la gniaque pendant la primaire. Il va maintenant faire deux déplacements par semaine. Sans meeting. C'est bon pour son image. "Je ne demande pas de protection policière. Je veux être au contact, donner cette facilité dans la relation avec les gens. Ce que Nicolas Sarkozy ne peut pas vivre." François Hollande se rêve en chef normal.  

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