DSK, chambre 28 zéro sexe .

Publié le par Gérard

Journalistes, femmes politiques, hôtesses de l'air, femmes de chambre, économistes... Le tableau de chasse de DSK impressionne, comme les plaintes qui l'émaillent, et les silences qui les enrobent. L'arrestation du directeur général du FMI, dimanche dernier, a soudainement libéré la parole et fait remonter en surface quantité d'affaires, plus ou moins graves, mais toutes fort préoccupantes pour celui qui prétendait succéder à l'Elysée à un autre agité : Nicolas Sarkozy.
"Tout le monde savait", entend-on désormais partout, tout le monde savait que DSK, coupable ou innocent dans l'affaire du Sofitel new-yorkais, avait un comportement souvent très pressant envers les femmes et s'était, au moins à une occasion, fort mal comporté. Mais personne n'a rien dit. L'omerta française est du coup pointée du doigt par la presse internationale, et nos médias - chose rare - entament un examen de conscience. L'affaire DSK donne lieu, ce n'est pas son moindre mérite, à un procès des médias.
Certains observateurs, choqués au plus haut point - traumatisés même - par la chute brutale et imprévisible de Dominique Strauss-Kahn, ont comparé l'événement au 11-Septembre. La comparaison, malgré son excès évident, revêt néanmoins une certaine pertinence en ce qu'elle nous renvoie à un seul et même phénomène politico-médiatique : l'omerta.
"C'est un nouveau 11-Septembre", lance Pierre Jovanovic, le 18 mai 2011 sur Radio Ici et maintenant, pour décrire l'onde de choc provoquée par l'arrestation du directeur général du Fonds Monétaire International. D'autres observateurs, comme le cinéaste Eric Rochant et le journaliste Michaël Darmon, ont osé la même comparaison, pour signifier l'état de sidération dans lequel cet événement nous a plongé, et pour remarquer que, dans les deux cas, des "théories du complot" ont rapidement émergé pour calmer nos angoisses, tant la réalité apparaissait inacceptable. Mais il s'agit de "théories du complot" de deux types bien distincts : dans un cas, elles mettent en accusation les puissants, et leur usage est alors vivement dénoncé par les médias, il relève du délire, de la folie ; dans l'autre cas, elles servent à protéger des puissants dans la tourmente, et sont accueillies avec une relative bienveillance par ces mêmes médias.
Le rapprochement le plus pertinent entre ces deux événements, si dissemblables par ailleurs (car comme le dit très cyniquement Jack Lang, "il n'y a pas mort d'homme" dans l'affaire DSK...), réside dans l'attitude des médias et des politiques, dans leur silence pendant tant d'années sur ce que chacun savait pourtant dans les "milieux autorisés". Comme le titre France Soir le 18 mai, "tout le monde savait" que DSK avait un gros problème de maîtrise de ses pulsions sexuelles et que nombre de femmes en avaient fait les frais. Et tout le monde s'est tu, et a laissé faire, jusqu'à ses plus fervents supporters au PS qui continuent de nier l'évidence - "ce n'est pas le Dominique que nous connaissons" - et crient, comme Michèle Sabban, et sans le moindre début d'argument, au "complot international". Dans le cas du 11-Septembre, les dirigeants américains savaient - avec force détails - qu'un énorme attentat impliquant des avions était en préparation sur leur territoire, ce qui permit au New York Post de barrer sa Une d'un énorme "Bush knew", mais ils n'ont rien fait, ils ont laissé faire, et ont ensuite nié avoir reçu le moindre avertissement. Chacun sait aussi que le rapport de la Commission d'enquête est une escroquerie, dont le seul but, de l'aveu même l'ex-officier de la CIA Michael Scheuer, était de faire diversion et de dissimuer la vérité (qui reste largement à déterminer) ; pourtant chacun fait mine de l'ignorer.
Enquêter... quand j'aurai le temps
L'omerta médiatique et le déni des politiques, voilà ce que l'affaire DSK nous révèle en priorité. Jean-Michel Aphatie a bien pensé, nous confie-t-il le 18 mai sur son blog, au dîner auquel il était convié en février 2007 dans l'émission de Thierry Ardisson 93, Faubourg Saint-Honoré, et au cours duquel Tristane Banon avait révélé qu'un "chimpanzé en rut" nommé DSK avait tenté de la violer. Mais au bout de 4 longues années, il n'a malheureusement jamais trouvé l'occasion d'en parler : "Je fus naguère convive d’une tablée où une femme raconta des violences dont elle aurait été victime de la part de Dominique Strauss-Kahn. Le film de ce dîner est visible sur Internet. (...) L’histoire du dîner mérite d’être racontée. J’y ai souvent repensé. Mais j’ai le droit, je crois, de le faire quand je l’aurai décidé, où je voudrais, et sous des formes que je choisirai." Et le 19 mai, dans son duel sur RTL avec Alain Duhamel, il s'étonne qu'après la diffusion de l'émission sur Paris Première, aucun de ses confrères n'ait songé à l'appeler pour avoir de plus amples informations sur le cas Banon. Duhamel, de son côté, confesse sans honte n'avoir jamais entendu parler de cette affaire... Aphatie promet à présent de mettre les choses au point sur ce fameux dîner, de sortir enfin du silence, d'ici quelques jours sur son blog.
De la même manière, Laurent Joffrin, successivement directeur du Nouvel Observateur et de Libération, reconnaissait en 2002 lors de son passage dans une autre émission de Thierry Ardisson, Tout le monde en parle, qu'il existait de très nombreuses zones d'ombre dans l'histoire du 11-Septembre ; d'ailleurs, à l'époque, il promettait même d'enquêter sur l'une d'entre elles : la fuite de Ben Laden de Jalalabad en novembre 2001 avec un convoi d'une centaines de véhicules, qui ne devait pas passer inaperçu aux yeux des Américains. L'anecdote avait été rapportée, entre autres, par le grand reporter Michel Peyrard sur le plateau d'Ardisson. Presque dix ans plus tard, Joffrin n'a, lui non plus, pas trouvé le bon moment pour s'y mettre... "L'homme en noir" avait eu à l'époque des mots très justes, qui résonnent étrangement dans le contexte de l'affaire Strauss-Kahn :
- Ardisson : ... Peyard dit ça, alors j'ai appelé les journaux, et je leur ai demandé "est-ce que vous allez enquêter ?", j'ai appelé le Journal du Dimanche, "non on ne va pas enquêter", Libération, "on n'enquête pas", Le Monde, Schneidermann me dit "de toute façon mon problème c'est pas d'enquêter, voir ça avec Plenel", ça veut dire quoi ? ça veut dire qu'un truc est dit dans une émission devant 2 millions et demi, 3 millions de gens un samedi soir, et le lundi matin la presse n'en parle pas, est-ce un fonctionnement normal ? (...)
Je trouve quand même que c'est grave, il y a des choses qui sont dites et qui sont complètement ignorées...
[ Finkielkraut parle alors de secret de Polichinelle...]
- Ardisson : Ce que j'appelle un secret de Polichinelle, c'est l'information à deux vitesses, d'un côté y a les journalistes qui savent des trucs, qui en parlent entre eux dans les dîners, "tu sais Mitterrand a une fille cachée, elle s'appelle Mazarine... et puis tu sais que Mitterrand a eu la Francisque, mais ça on le dit pas au bon peuple qui achète nos journaux, on se le dit entre nous dans les dîners", et donc est-ce qu'Internet c'est pas la fin de cette information à deux vitesses ? (...)
Qu'est-ce qu'il va se passer le jour où y a un truc qui va sortir, on va s'apercevoir que dans la version de la CIA et du FBI y a un truc qui cloche ?
- Joffrin : Y a peut-être des choses qui clochent déjà, y a effectivement des contradictions, des bizarreries, les journaux qui ont parlé de ça ont dit que les autorités n'ont pas tout dit, donc y a des questions qui restent posées, évidemment, bien sûr...
Que vont se dire les gens lorsqu'ils vont se rendre compte que les choses ne se sont pas vraiment passées comme on le leur a dit ? Et surtout que personne n'a enquêté pour savoir comment elles se sont passées ? Pertinentes questions d'Ardisson... Le manque de curiosité des journalistes pour certaines affaires potentiellement explosives (comme ici) est toujours source d'étonnement. Internet permet, en effet, non pas de mettre fin à l'information à deux vitesses, mais de limiter fortement l'écart entre ceux qui savent et les autres, et même d'inverser parfois la hiérarchie entre sachants et ignorants.
Silence coupable
Ces derniers jours s'est donc spontanément ouvert - dans nos médias - le procès des médias (voir Les Dernières Nouvelles d'Alsace, La Montagne, Le Républicain lorrain, La République du Centre...). Evénement assez rare pour être souligné. Ainsi, Le Monde du 20 mai consacre un article au "procès des journalistes", et à l'accusation d'omerta qui leur est portée, mais c'est pour mieux se dédouaner de ne pas avoir parlé de l'histoire de Tristane Banon : "Il y avait bien, pourtant, le témoignage de Tristane Banon, cette écrivaine qui assure avoir subi des violences sexuelles de la part de DSK, en 2002. Un témoignage public, accessible à tous, mais qui n'a jamais été suivi d'un dépôt de plainte. Fallait-il enquêter sur cette base, fouiller le passé de Dominique Strauss-Kahn, interroger les femmes ayant partagé des moments d'intimité avec lui, se procurer, peut-être, des éléments de son dossier médical ? Voire, comme l'auraient peut-être fait les tabloïds britanniques, lui tendre des pièges ? Non, répondent d'instinct la plupart des journalistes français, qui érigent en tabou le respect de la vie privée." C'est l'absence de plainte qui est invoquée pour justifier l'absence d'enquête. Piètre argument, quand on lit ici ou les témoignages de femmes victimes de viol qui disent toute la difficulté qu'il peut y avoir à porter plainte. Une telle décision réclame souvent de nombreuses années. Faut-il dès lors ne rien faire ?
D'ailleurs, un autre article du Monde, daté aussi du 20 mai, prend le total contre-pied du précédent, en dénonçant l'absence d'enquête des journalistes, leurs justifications foireuses, et en dénonçant clairement l'omerta après la diffusion par AgoraVox, en 2008, du témoignage accablant de Tristane Banon :
"L'information s'arrête au seuil de la chambre à coucher", a professé Le Canard Enchaîné. Un peu court, lorsqu'on se souvient que le patron de l'hebdomadaire satirique, Michel Gaillard, avait reconnu dans un entretien accordé à Libération que "Le Canard aurait dû, durant les années Mitterrand, ne pas dissimuler l'existence de Mazarine". Même au Canard, apparemment, la porte de la chambre est entrebâillée !
Ailleurs, Franz-Olivier Giesbert, patron du Point, a soutenu qu'en l'absence de délit caractérisé, la presse n'avait pas à lancer d'enquête. Foutaises ! Si telle était la règle dans la profession lorsqu'il s'agit de faits divers, qui touchent le plus souvent des citoyens ordinaires, beaucoup d'entre nous seraient au chômage technique. Autant de dénégations qui masquent la frilosité de la presse face au chouchou des médias. Lorsque le site Agoravox, le 22octobre 2008, publie le témoignage de l'écrivaine Tristane Banon, dénonçant l'agression de Strauss-Kahn, personne ne relaie l'information.
Sur France 2, David Pujadas consacrait le 19 mai une grande soirée à débattre, entre autres choses, du silence des médias au sujet du comportement problématique de DSK avec les femmes. Etrangement, le nom de Tristane Banon ne sera pas prononcé une seule fois... même si Ivan Rioufol du Figaro essaya vainement d'amener le sujet sur la table, immédiatement coupé par le directeur du Point Franz-Olivier Giesbert. Dans Ce soir ou jamais du 18 mai, c'est la même thématique de l'omerta médiatique qui était abordée : "DSK : La presse française sur le banc des accusés ? Les journalistes français auraient-ils dû révéler ce qu’ils savaient depuis des années ? Les frasques supposées de Dominique Strauss Kahn étaient, semble t-il, un véritable secret de polichinelle au sein des rédactions."
Dans Le Monde du 16 mai, Xavier Deloire, directeur du Centre de formation des journalistes (CFJ) et co-auteur, en 2006, de Sexus Politicus, s'interrogeait déjà sur l'étrange omerta des médias sur le cas DSK et s'inquiètait des répercussions qu'elle pourrait avoir dans l'opinion : "Si demain les Français, lecteurs ou électeurs, nous accusent une nouvelle fois d'avoir gardé un secret entre soi, d'avoir accepté chez les puissants ce que nous refusons aux humbles, que leur répondrons-nous ? Que nombre d'entre nous ne savaient pas ou n'ont pas cherché à savoir ? (...) Se garder de propager les rumeurs, tel est notre devoir. Les laisser se propager sans avoir la curiosité de les vérifier est une erreur." On croirait entendre Ardisson, dix ans après...
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