Luis Ocana, ou l’indigestion du Cannibale ...

Publié le par Gérard

Le coureur espagnol fut le meilleur opposant à Eddy Merckx, qui menaçait de vassaliser le cyclisme tout entier au début des années 70 ... Leur duel attint son paroxysme en 1971, pendant le Tour de France.

 

 

En 1971, le soleil ne brille que pour un seul homme, Eddy Merckx.

Alors qu’on pensait Coppi inégalable, le Bruxellois a porté le cyclisme vers de nouveaux sommets.

Lorsqu’il présente à Mulhouse, pour le départ ce Tour 1971, Merckx est déjà double vainqueur du Tour (1969 et 1970), double vainqueur du Giro (1968 et 1970), champion du monde sur route (1967) et lauréat d’une myriade de classiques de printemps ...

 

Pourtant, un Castillan nommé Luis Ocana veut briser cette hégémonie. Ce coureur plein de panache va pousser Merckx dans ses ultimes retranchements ...

 

En 1970, il s’est révélé, remportant la Vuelta et la Dauphiné Libéré.

Déjà vainqueur d’une étape au sommet du Puy de Dôme, Ocana porte l’estocade dans lecol du Noyer et sème ses compagnons de fugue, Lucien Van Impe, Joop Zoetemelk et Joaquim Agostinho. La veille à Grenoble, Merckx a déjà montré des signes de fébrilité ... et a cédé son maillot jaune à Joop Zoetemelk, son dauphin de l’édition 1970. Mais le coureur néerlandais n’a pas l’envergure d’un grand attaquant. Ocana, lui, est bien décidéà planter des banderilles ... Il faut battre le fer quant il est chaud ... Cela tombe bien, il est en grande forme, et sa victoire sur le volcan auvergnat restera une simple anecdote comparée à l’exploit qu’il va réaliser dans cette étape des Alpes.

 

Ocana concrétise cette échappée mythique, aussi violente que celles de Coppi ou Gaul jadis. Il gagne à Orcières Merlette avec plus de huit minutes d’avance sur Merckx, esseulé en tête du peloton (Lucien Van Impe étant intercalé entre Ocana et Merckx). Seul pour assurer la poursuite, le Cannibale subit la plus grande défaite de sa jeune carrière, malgré une défense qui force le respect. S’il a sombré physiquement, le Belge a eu le mérite de ne jamais se décourager, malgré l’encombrante présence de rivaux qui guettent le moindre signe précurseur de faiblesse, qui attendent sa chute, tels des vautours. D’autres auraient perdu quinze ou vingt minutes dans une telle épreuve ... mais Eddy Merckx n’est pas n’importe qui, et il a su, comme Anquetil en 1964 dans le Puy-de-Dôme, juguler la terrible hémorragedu temps, face à un adversaire souverain.

 

Mais pas de chance pour Merckx, Ocana n’est pas Poulidor, qui à l’époque avait attaqué bien trop tard. L’Espagnol a su prendre l’initiative d’une grande offensive, et en récolte les fruits ...

On pense que le maillot jaune est définitivementacquis à Luis Ocana, dont la domination ne souffre aucune constestation.

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Merckx rend hommage à son vainqueur: Aujourd’hui, Ocana nous a matés comme El Cordobes mate les taureaux dans l’arène.

Merckx réagit sur la route de Marseille, reprenant deux minutes à son rival espagnol. Mais un gouffre de sept minutes sépare toujours les deux champions. Le belge gagne le chrono d’Albi et attaque comme un diable dans l’étape Revel - Luchon, qui emprunte le col de Mente. Dans la descente, c’est le drame, Ocana s’obstine à suivre Merckx, à le marquer à la culotte.

 

Grave erreur, Ocana paie cher ce péché d’orgueil. Tombant dans un virage, l’Espagnol est ensuite percuté par Zoetemelk, dont les freins ont lâché. Le maillot jaune abandonne sous la pluie du col de Mente, alors qu’il pensait lâcher son challenger dans le col du Portillon ...

Le lendemain de l’abandon de Luis Ocana, Merckx se comporte en vrai seigneur de la course ... Il demande exceptionnellement à Félix Lévitan l’autorisation de ne pas porter le maillot jaune, qu’il estime appartenir à Ocana. Le co-directeur du Tour accepte à condition que Merckx endosse la tunique jaune à l’arrivée de l’étape qui conduit le peloton de Luchonà Superbagnères.

 

Dans la fin de ce Tour où il est orphelin de son meilleur rival, Merckx met un point d’honneur à montrer qu’il mérite cette troisième victoire plutôt chanceuse. Zoetemelk et Van Impe sont écrasé comme de vulgaires fétus de paille, notamment dans l’ultime étape contre-la-montre Versailles - Paris. Merckx bat le record de vitesse de l’épreuve (avec 38.084 km/h), et sa performance tiendra jusqu’en 1988 (battue par Pedro Delgado).

 

En 1973, Ocana reviendra et gagnera le Tour à la Merckx, avec virtuosité, étendant son hégémonie à toutes les étapes décisives, mais le Cannibale était absent, après avoir gagné la Vuelta et le Giro au printemps. Et malgré leur talent, Fuente, Thévenet et Zoetemelk sont bien loin de valoir Merckx, seul coureur dont la présence aurait accru le prestige de la victoire finale d’Ocana. Dans ce Tour 1973, Ocana réédite, dans l’étape des Orres, une performance digne de sa victoire d’Orcières Merlette ... il rejette très loin ses poursuivants. Zoetemelk, par exemple, finit sixième de cette étape dantesque, à vingt minutes du maillot jaune, impressionnant d’aisance. Seuls Jose Maria Fuente et Bernard Thévenet, qui finiront sur le podium à Paris, ont pu limiter les écarts.

 

En 1972, Ocana avait du abandonner et laisser Merckx filer vers une quatrième victoire consécutive dans le Tour. En 1974, Ocana était forfait, laissant Merckxseul face à Poulidor.

 

Et en 1975, c’est Bernard Thévenet qui aura l’honneur d’être le premier à faire tomber Merckx. Diminué par le coup de poing reçu dans le Puy-de-Dôme (un spectateur l’ayant frappé), le Belge connaît une terrible défaillance dans Pra Loup, alors qu’il s’était échappé dans le col d’Allos. Merckx, parti en jaune de Nice, voit Thévenet le dépasser, mais aussi d’autres vieux rivaux, ceux de sa génération, qu’il a privés de tant de victoires. Ceux qui n’ont pu se nourrir que des miettes de son festin, l’appétit de succès de Merckx étant digne de Pantagruel. Gimondi et Van Impe dépassent aussi le Cannibale, collé au goudron dans cette étape où le Tour de France bascule vers une autre époque ... Perdant le jaune, Merckx retrouve l’arc-en-ciel (conquis en 1974 à Montréal) et finira deuxième sur les Champs Elysées.

 

Quant à Luis Ocana, iln’aura donc jamaispu venger réellement la terrible déception de 1971, dans le col de Mente.

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