La France forteresse de Sarkozy

Publié le par Gérard

(Dessin Luz)

Que reste-t-il du sarkozysme? (6) «Libération» regarde dans le rétro et décrypte les principales actions menées par Nicolas Sarkozy en tant que président. Aujourd'hui, l'immigration.

Par CHARLOTTE ROTMAN, CORDÉLIA BONAL, MARIE PIQUEMAL

En cinq ans, en matière d'immigration, les verrous ont sauté les uns après les autres. Le quinquennat s’est ouvert avec la création du très contesté ministère de l’Identité nationale et s’achève avec la circulaire Guéant, qui ferme la porte de la France aux étudiants étrangers. Entre-temps, le gouvernement a réussi un tour de force : expulser 33 000 étrangers en 2010. Un record.

 

Suspicion sur des «mariages gris», traque des Roms et des «fraudeurs»: de discours stigmatisants en tour de vis législatifs, de coup de butoirs en coups médiatiques, le gouvernement a fait la chasse aux étrangers en situation irrégulière... et régulière.

Ministère de l'Identité nationale :
les étrangers dans le viseur

 

A l’origine, une promesse de campagne

C'est une proposition avec laquelle le candidat à la présidentielle a fait un tabac de meeting en meeting. Tout juste élu, Nicolas Sarkozy crée un ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement. Un intitulé explosif et contesté.

 

La mise en œuvre, du bruit pour pas grand-chose

Pour ce poste très emblématique et politique, il choisit un fidèle lieutenant, Brice Hortefeux. D’entrée, une première loi sur l'immigration est adoptée le 20 novembre 2007, permettant, entre autres, le recours aux tests génétiques dans la procédure de regroupement familial. La proposition suscite une levée de boucliers. Artistes, médecins...de nombreuses personnalités demandent le retrait de la mesure.

Automne 2009. C’est finalement Eric Besson, transfuge du PS et successeur d’Hortefeux, qui annonce la tenue d’un «grand débat sur les valeurs de l'identité nationale». Dans le plan com, trois mois de débats locaux et un site internet avec «grille de réflexion» et appel à contributions...

 

 Conséquences, pas mal de dégâts

Dans les faits, le débat se transforme en polémique incessante, entre les membres de la majorité qui prennent soigneusement leurs distances comme Jean-François Copé ou Jean-Pierre Raffarin, et les débats locaux propices aux dérapages (mention spéciale à Nadine Morano et l'affaire de la casquette). Tout ça pour quelques mesurettes symboliques annoncées à un mois des régionales.

Sur le fond, pas grand-chose donc. Mais le message politique est passé, les étrangers se sentent visés. Fin 2010, Nicolas Sarkozy supprime finalement le ministère de l’Immigration. Ses missions sont transférées au ministère de l'Intérieur.

 

Jungle de Calais :
des centaines de migrants dans la nature

 A l’origine, la fermeture de Sangatte

Il faut remonter à 2002 pour comprendre. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, ordonne la fermeture du centre d’hébergement de Sangatte, près de Calais, où transitent les migrants de passage en France et candidats à l’exil vers l’Angleterre. Ces clandestins, Afghans, pour la plupart, se retrouvent dans la nature. Ils se regroupent dans ce qui devient «la jungle de Calais», le bois où se sont dispersés des milliers de migrants après la fermeture de Sangatte.

 

La mise en œuvre, un coup d’éclat médiatique

Sept ans plus tard, le 22 septembre 2009 exactement, nouveau coup d’éclat. Le ministre Eric Besson ordonne le démantèlement de «la jungle». L’opération est minutieusement orchestrée, ultramédiatisée : 500 policiers évacuent en deux heures les 1200 migrants qui vivaient là dans des conditions très précaires.

 

 Conséquences, l'éparpillement des migrants

L’évacuation est aussi symbolique qu’inefficace, puisque le problème des migrants reste entier. Ils seraient encore 400 dans la région, dont 150 à Calais, dispersés en petits groupes pour échapper à la pression policière.

A lire aussi : le livre de notre correspondante à Lille, Haydée Saberan, retraçant le parcours de migrants. [Extraits].

Déchéance de la nationalité :
l'amalgame immigration-criminalité

A l’origine, le discours de Grenoble

En déplacement à Grenoble, au milieu de l’été 2010, Nicolas Sarkozy annonce une batterie de mesures sécuritaires ciblant les immigrés. Il demande que la nationalité française puisse «être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte» à la vie d'un policier ou d'un gendarme. Filant le cliché de l'immigré fraudeur, il souhaite qu'on évalue les «droits et prestations auxquels ont aujourd'hui accès les étrangers en situation irrégulière.»


 La mise en œuvre, contrariée par les députés

L’extension de la déchéance de nationalité figurait dans le projet de loi Besson sur l’immigration. Etaient visées les personnes naturalisées depuis moins de dix ans et condamnées pour meurtre ou violences contre un représentant de l’autorité publique. Cette mesure a finalement été abandonnée au dernier moment par les députés… qui ont voté en échange le durcissement du dispositif d’expulsion pour les sans-papiers. [Les détails ici]. Les autres mesures.

 

Conséquences, un virage assumé

Ce discours de Grenoble marque un tournant. Pour la première fois de son mandat, Nicolas Sarkozy a fait le lien de manière explicite entre délinquance et immigration. Suivra l’attaque en règle contre l’aide médicale d’Etat, qui permet aux sans-papiers de se faire soigner.

Autre reliquat du discours de Grenoble, l’amalgame fait entre l’immigré et le fraudeur. En novembre dernier, le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, annonçait  «qu'à partir de janvier 2012» les fichiers des étrangers résidant en France et de la sécurité sociale seraient croisés pour lutter contre les fraudes sociales imputables aux étrangers.

 

Reconduites à la frontière :
un record d'expulsions

A l’origine, la volonté d'être ferme

A peine élu, Nicolas Sarkozy, qui fut locataire de la Place Beauvau, décide de doubler de manière volontariste le nombre des reconduites à la frontière. De quelque 12 000 par an, rythme moyen adopté sous le gouvernement Jospin, il veut arriver à environ 25  000 reconduites.

 

La mise en œuvre : l'affichage des «objectifs chiffrés»

Hortefeux fixe ces «objectifs chiffrés», dans un projet de loi-programme pluriannuelle 2009-2012.  Un nombre de reconduites à la frontière est défini chaque année depuis cinq ans, toujours plus élevé. 23 000 expulsions en 2007. 33 000 en 2011, un record… La chasse aux sans-papiers est ouverte.

Pour tenir les objectifs, le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, n'hésite pas à remettre en cause des droits fondamentaux. Ainsi, après modification de la loi, les sans-papiers placés en rétention en attendant leur expulsion ne peuvent voir un juge des libertés qu’après un délai de cinq jours au lieu de deux, histoire de limiter les remises en liberté.

 

Les conséquences, une politique coûteuse et peu efficace

Le nombre d'expulsions est un élément important de la communication du gouvernement. Mais en observant le détail des reconduites à la frontière, on s'aperçoit que ces chiffres sont structurellement gonflés par le très grand nombre de Roms reconduits. Ces citoyens européens, souvent Roumains et Bulgares, peuvent être expulsés facilement... mais ont le droit de revenir en France en vertu de la libre circulation dans l’espace Schengen. [Notre enquête à lire ici]

Cette politique du chiffre est coûteuse. Le budget annuel du ministère de l’Intérieur pour la rétention et la reconduite à la frontière des sans-papiers est estimé à 500 millions d’euros par la Cour des comptes. Selon le grand audit mené l’année dernière sur la politique migratoire, l’expulsion d’un sans-papiers coûte à l'Etat français 26 000 euros (policiers mobilisés, maintien en rétention, charter…)

 

Immigration légale :
de «choisie» à honnie 

A l'origine, des quotas

Dans sa lettre de mission de juillet 2007, Brice Hortefeux reçoit la mission de doper l’immigration professionnelle pour la porter à 50% du total de l’immigration légale. Nicolas Sarkozy veut, à cette époque, une immigration «choisie» et non plus «subie».

Plus généralement, le Président veut instaurer des quotas annuels d’immigrés admis à séjourner en France. Début 2008, il mandate Pierre Mazeaud, ex-président du Conseil constitutionnel, pour réfléchir au cadre constitutionnel d'une politique migratoire basé sur des quotas, par profession et en fonction du pays d'origine... à la fois «irréalisable et opportuniste», jugera la commission quelques mois plus tard. Un camouflet.

 

La mise en œuvre, tous dans le même panier

Le gouvernement veut assouplir (un peu) les conditions d’entrée des travailleurs et publie des listes de métiers susceptibles d'être ouverts. On est à l'automne 2007, quelques mois après son élection. 

En bon soldat, Hortefeux fait de son mieux pour remplir les objectifs de sa feuille de route : en mettant dans le sac de l’immigration professionnelle le maximum de catégories : actifs non salariés, saisonniers, travailleurs temporaires et étudiants devenus salariés. Avec cette méthode, Brice Hortefeux se félicite en février 2009 d’avoir accordé 33 000 titres de séjour au titre de l’immigration de travail.

 

Les conséquences, le reflux

Trois ans plus tard, Claude Guéant, le nouveau ministre de l'Intérieur qui a récupéré le portefeuille de l'immigration, donne, lui, le chiffre de 9 154 titres de séjour au titre de l’immigration de travail. Que s'est-il passé ? La méthode de calcul a changé. Claude Guéant n’a retenu qu’une des catégories de l’immigration professionnelle, les premiers titres de séjour salariés et a exclu les autres. C'est qu'entre-temps, les objectifs ont changé. Il ne s'agit plus de densifier l'immigration professionnelle mais de la faire baisser.

 

Diplômés étrangers :
la nouvelle cible de l'Intérieur

 A l’origine, la circulaire Guéant

La circulaire du 31 mai 2011 invite les préfets à une interprétation restrictive des règles de délivrance des cartes de séjour «salarié» et de changement de statut pour les étudiants souhaitant devenir salarié.

 

 La mise en œuvre, face à la fronde

Dès l’été 2011, les jeunes étrangers, fraîchement diplômés souvent de prestigieuses universités ou de grandes écoles (HEC, Sciences-Po, les Ponts et Chaussées…) sont coupés dans leur élan. Ils ont décroché un emploi, un CDI souvent, dans des grandes entreprises françaises mais sont privés de travail, faute de titre de séjour. Appliquant la circulaire à la lettre, la plupart des préfectures font de l’excès de zèle et traînent dans l’examen des dossiers. En face, la fronde s’organise, un collectif est créé pour défendre ces diplômés non grata. Voir aussi les vidéos de parrainage publiées sur le site de Libé.

 

Conséquences, retropédalage et arbitraire

Devant le tollé que suscite cette chasse à l’immigré diplômé, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant fait mine de rétropédaler : un nouveau texte est publié en janvier 2012, censé clarifier les critères. Sur le terrain, rien ne s’est véritablement amélioré, d’une préfecture à l’autre, les réponses varient. L’arbitraire reste la règle.

A lire aussi : Rétrospective, en version longue: «Immigration, cinq ans d’offensives»

Et aussi : Les autres volets de notre série «Que reste-t-il du sarkozysme ?»

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article